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LE RYTHMF, liTILITAini: r5

diameaiix et les bœufs sont accoutumes d'être menés au chant, et selon que leur charge est pesante, il faut chanter plus fort et plusconstammcnt (i)». §8i. Le rythme du travail a encore une autre utilité : il coordonne les mouvements. Dans certains cas, cette coordination n'est pas nécessaire en principe, mais elle le devient en pratique, parce qu'un manque d'accord entre les mouvements, et par suite entre les rythmes sonores, troublerait chaque ouvrier dans le rythme de son travail et l'empêcherait de le conser- ver. Et même on se concerte alors plus ou moins consciemment, quand c'est possible, pour obtenir un rythme complexe ou composé, qui par la fréquence et la rapidité de ses éléments excite bien autrement l'activité et allège bien autrement la fatigue, on le comprend, qu'un rythme simple, uniforme, monotone, rempli seulement, dans chaque unité, d'un temps marqué et d un silence. Observez une escouade de paveurs, s'il vous arrive jamais d'en rencontrer. Il ne frappent pas chacun à sa guise, sans souci des camarades. S'ils ont quelque j)eu d'expérience et d'adresse, ils ne frap- pent pas non plus tous ensemble, à l'unisson pour ainsi dire : leur force semblerait s'épuiser dans le vacarme des coups assénés tous en même temps, et aucun bruit ne viendrait ensuite les invitera relever la hie pour l'abattre de nouveau. Après cpielques minutes de tâtonnement, ils réussis- sent il frapper régulièrement tour à lour ou par petits groupes, composant une unité rythmique de chocs sonores, dont la hie la plus lourde, ou le bras le plus robuste, ou simplement le groupe le plus nombreux donne le temps marqué (principal). Non seulement ce rythme composé encourage bien mieux à la besogne par sa vivacité et sa variété ; mais encore chaque paveur est soutenu, dans le double cfï'ort silencieux de relever sa hie et de l'abattre ensuite à grand ahan, par le choc cadencé des hies voisines sur le pavé retentissant. On peut faire la même observation en passant auprès d'une carrière : carriers et casseurs de pierre s'excitent au travail par un rythme composé de même espèce. Il est composé, non seulement parce que les unités rythmiques en sont composées, mais encore parce qu'il a plu- sieurs parties et constitue ainsi une harmonie rythmique, souvent assez complexe. Cette harmonie s'est introduite dans la musique des instruments il percussion, par exemple en Orient, comme on peut s'en rendre compte (hins les cafés arabes ou maures de nos expositions (2). Elle a des formes multiples. En voici deux. 1" Supposez que deux instruments adoptent une mesure isochrone, mais binaire d'un côté (2/8) et ternaire de l'autre (3/8) : il y aura coïncidence ou accord entre les sons forts — ce qui est souvent le seul moyen de bien les faire ressortir, par exemple chez les casseurs de

(i) Voyafjes du chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l'Orient. iNoiivcUc cdilion par fi. Langlés, Paris, 181 1, vol. I, p. iGo.

(2) V. ïliibaiilt, Revue musicale, 1902, p. 38'4 ; P. Aubry, Le Rythme ttmiqne, p. li'ct ; S. Da- niel, La musi'jue arabe, II, p. 19; Ticrsot, Mnsirjue pittoresijne et .\oles d'ethnoijraphic musi- cale; 0. Abraliam und E. v. Ilornbostcl, Phonor/raphicrtc indischc Melodien, Internat. Musik- Gesellsch., V, xxiii, p. 897 ; E. v. Ilornbostcl, Phonocjr. tunesische Melodien. Berlin, 1907, p. 38. Chez les Ewe du Togo, l'harmonie rythmique comprend jusqu'à six parties (Mcinhof^ l'.ciUiije :ur alUjemeinen Zcitunrj, Munich, 1907, 'i<^ trim., p. 680).