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LE RYTHME UTILITAIRE *J'^

pour les soldats qui marchent au pas afin de ne pas se gêner les uns les autres, pour les rameurs, etc. En pareil cas, la mesure commune est sou- vent donnée par des coups de bâton sur un objet sonore — par le tambour, qui est, sous ses dlIFérentes formes, l'instrument le plus eflTicace et le plus eniplové chez les dillerents peuples, sauvages ou civilisés — par une flûte, comme sur les trirèmes grecques — par une cloche — par des sifflements —

— par des cris, comme le « ahan ! » des boulangers et des bûcherons — mais surtout parle chant. Tantôt, par exemple, les rameurs chantent tous en chœur; tantôt ils laissent à l'un d'eux, qui d'ordinaire se repose en même temps, le soin de chanter seul une chanson, dont les autres reprennent le relrain.

Naturellement, quand on règle par le chant ou par la musique instrumen- tale le travail des cueilleuses ou des éplucheuses de houblon, des fdeuses, des tisserands, des vanneurs, des vanniers, des jardiniers, des pétrisseurs de pain — comme les anciens le faisaient pour leurs esclaves — on ne se propose aucunement de coordonner leurs efforts, mais simplement de les stimuler par le rythme, par un rythme commun.

§82. Chez les peuples civilisés d'aujourd'hui, le rythme du travail a beau- coup perdu de son importance au point de vue de l'économie sociale. Dans presque tous les métiers, presque toutes les industries, les outils perfec- tionnés et surtout les machines ont abrégé, allégé, simplifié la main-d'œuvre

— il est vrai que les machines imposent un rythme parfois aussi nuisible aux ouvriers qu'utile à la surproduction. Mais cette importance a été consi- dérable dans le passé ; elle l'est encore dans les milieux moins avancés. Ce rvthme, nous ne l'entendons guère à Paris que lorsque les bonnes battent les tapis ou brossent les vêtements, lorsque les crieurs de journaux cla- baudent par les rues : « Cûrses, cûrses, complet des cûrses ! » Ces images, assombries encore par le souvenir de nuages de poussière, n'ont certes rien de poétique. Mais traversez un village perdu de Normandie, de Bretagne, de Bourgogne ou de Provence: à chaque pas, suivant la saison, toutes sor- tes de rythmes divers chantent joyeusement à vos oreilles, réconfortante annonce de l'activité humaine. De ci, de là, retentit le rythme ternaire des fléaux sur la terre battue, le claquement du battoir des laveuses, le piétine- ment des vendangeurs dans la cuve de raisin, le heurt répété du marteau sur le clou ou le pieu qu'on enfonce, les coups de hache du bûcheron ou du charron, le frottement de la varlope du menuisier, le grincement lointain de la scie du scieur de long, le frôlement de la faux dans l'herbe ou le blé, le glisssement de la pierre à aiguiser sur la faux qu'on afï'ùte. Dans la ferme, c'est en mesure qu'on baratte le beurre et qu'on trait les vaches — que sousle doigtdequelquebelle fille le laitgicle dans le seau en jets sonores(i). Le frappement sec de la navette ou le ronflement d'un rouet vous appren- nent qu'une vieille tisse ou file le linge de la maison. Et au-dessus de tous

(i) whilst loud, and in regular cadence,

Into Ihe soundinp pails the foaming streamlets descended.

Longfellow, Evangeline, I.