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84 ESTHÉTIQUE DU RYTHME

forcée par son expression ; sa cause persistant, elle peut croître jusqu'au paroxysme, qui la tue, comme je l'ai dit, par l'arrêt de l'activité physique et morale. Elle s'épuise par une sorte de kat/iarsis {^y

§87. Toute cette mimique des émotions, mimique vocale ou autre, agit également sur l'auditeur et le spectateur. Nous savons que par eux-mêmes, quelle qu'en soit la cause, les sons, les couleurs et les mouvements pro- duisent sur notre sensibilité des impressions caractéristiques (2). Les sons, d'ailleurs, par leur intensité, leur hauteur et leur timbre, c'est-à-dire par l'amplitude, la vitesse et la durée de leurs vibrations, n'affectent pas seule- ment les nerfs auditifs, ils ébranlent tout le système nerveux, ils envelop- pent tout le corps de leurs ondes sonores, ils le pénètrent de toute part, jusque dans ses profondeurs les plus intimes ; nous les sentons dans tous nos membres, dans tous nos muscles — où ils provoquent souvent des mou- vements réflexes — nous les sentons jusque dans les organes les plus secrets, jusque dans le cœur; ces impressions sont accompagnées de plaisir ou de douleur purement physiques. Un son trop aigu ne nous « déchire » pas seulement les oreilles, mais encore, à un moindre degré, toutes nos fibres musculaires et nerveuses: il nous transperce dans tout notre être, suivant son timbre, de plaisir ou plus souvent de douleur. Toutes ces modifica- tions motrices et sensibles s'unissent à la sensation purement auditive, ainsi qu'aux associations du souvenir, pour susciter dans notre âme l'an- goisse et l'épouvante, l'exultation et l'enthousiasme. Songez au sifflement de la tempête, au grondement de la mer ou d'une cataracte, à la détona- tion imprévue d'un fusil ou d'un canon, au rugissement d'une bête fauve, au tocsin, h un « joveux carillon », à une fanfare de clairons, au chant du rossignol. L'action des sons plus atténués est moins vive, naturellement, mais elle reste encore très efficace. L'effet en est bien autrement puissant quand ils traduisent l'émotion d'un de nos semblables. « Par cela seul, dit Spinoza, que nous nous représentons un objet qui nous est semblable comme affecté d'une certaine passion, bien que cet objet ne nous en ait jamais fait éprouver aucune autre, nous ressentons une passion semblable à la sienne (3). » Que sera-ce donc quand il s'agit d'un ami, d'un cama- rade, même d'une simple connaissance ? Mais si les paroles et les gestes dautrui nous émeuvent, ce n'est pas seulement par cette représentation de son émotion qu ils éveillent en nous, pas seulement comme signe de son émotion. Ils agissent directement sur notre sensibilité par leur rythme, leur timbre et leur intonation. Ils agissent tout aussi directement sur les centres correspondants de l'innervation motrice et provoquent chez nous une imitation au moins partielle, au moins une imitation en puissance. Quand nous écoutons chanter, nous reproduisons, au moins en pensée, le rythme et la mélodie. Quand nous regardons danser, sans autre préoccupation bien

gucil, do la terreur, do riiumiliti', do la piété » (Ribof, Les Maladies de la ]'i)hntc, lo*" éd., Paris, 1890, p. i4')-

(i) Aristolo, Poétique, elc.

(2) V. I'"»^ Partie, ji 3o et suiv.

(3) Ethique, III, Prop. 27, trad. Saissct.