Page:Vianey - Les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, 1933.djvu/169

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Un jour, le dieu fait la lyre avec le bois d’un sapin, les dents d’un brochet et des crins arrachés au cheval du Mal. Or, que le bel instrument soit fait avec des matières prises à des êtres grossiers, cela prouve que la musique a le pouvoir de tout transformer.

Le dieu donne sa lyre à des vieillards, à des jeunes gens, à son frère le forgeron, à son joyeux compagnon, à bien d’autres personnes : elle ne rend sous leurs doigts que des sons affreux. — Jetez cette chose horrible, crie un vieillard. — Rendez-la à son auteur, dit un autre. — Sous les doigts du dieu, elle chante merveilleusement : le loup déserte ses marais, l’ours sa caverne, l’aigle ses nuages, le poisson ses eaux ; le soleil et la lune s’arrêtent, et tous pleurent, le dieu plus que personne. C’est que la lyre ne peut être maniée par des ignorants.

Un jour, elle tombe dans la mer. Le dieu demande à son frère le forgeron un râteau pour l’en tirer. Mais le râteau est un outil trop grossier pour une tâche si noble et la lyre reste au fond des eaux.

Un autre jour, le dieu, entendant les plaintes du bouleau, du coucou, de la jeune fille, veut les consoler. Il fait la caisse d’une lyre avec le bois du bouleau, les vis avec les pleurs du coucou, les cordes avec les cheveux de la vierge. Toute la nature s’émeut au son de l’instrument : les collines s’abaissent, les rochers tremblent, les fleurs surgissent, les oiseaux accourent, « le roi du désert à la peau hérissée danse sur ses deux pieds. »

Le poète français retient ce dernier épisode : le