Page:Vianey - Les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, 1933.djvu/58

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tonne. Mais le général romain devient chez Leconte de Lisle un chef chrétien,

Quand Uheldéda a prédit la mort de la religion nationale et que les dieux ont pris leur vol, une nef s’avance, montée par des guerriers dont le désir du meurtre a élargi les narines. Sur la proue, Murdoc’h se dresse pour mieux voir. C’est un Kambrien, traître à sa race. Il a courbé le front sous le joug du Dieu des temps nouveaux ; mais l’eau dont il a été baptisé n’a pas lavé ses mains sanglantes ; en changeant de croyance, il n’a pas changé de cœur. Il reste un barbare, ivre de sang, et il prêche, le fer à la main, la foi du jeune Dieu, qui, toujours doux et clément, ne versa pas d’autre sang que le sien.

Le voici devant les bardes. Insensible à leurs chants sacrés, comme à l’auguste aspect du vieillard assis sur le granit, il rit. — Silence, adorateurs du Diable ! — clame-t-il. Et il leur annonce le sort qui les attend : pour leur chair, la morsure des carnassiers ; pour leurs âmes, le feu toujours accru sur des lits ruisselants de résine et de soufre, à moins qu’ils ne renoncent à leur erreur immonde.

Le Très Sage ne daigne pas répondre. D’une voix calme, il invite ses frères à fermer l’oreille aux vains bruits d’un moment, pour songer à l’impérissable vie qui les attend, et tous ceux qui saisissaient déjà les haches de granit s’inclinent autour du vieillard par qui parlent les dieux de la patrie.

Murdoc’h fait signe à ses guerriers. Les arcs tintent,