Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/339

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Quoy qu’on eust faict la mort mille fois plus cruelle,
On m’y verroit courir.
Je jure mon destin et le jour qui m’esclaire
Qu’il est tout mon soucy,
Et ce soleil si beau ne fait que me desplaire
Quand il n’est pas icy.
Lors que l’aube, en suivant la nuict qu’elle a chassée,
Espart ses tresses d or,
Le premier mouvement qui vient à ma pensée,
C’est l’amour d’Alidor.
Je tasche en m’esveillant à rappeler les songes
Que j’ay faict en dormant,
Et dans le souvenir de leurs plaisans mensonges
Je revoy mon amant.
Mon esprit amoureux n’est point sans violence
Au milieu du repos ;
Je le voy dans la nuict, et parmy le silence
J’entends ses doux propos.
Tous les secrets d’amour que le sommeil exprime,
Mon ame les ressent,
Et le matin je pense avoir commis un crime
Dans mon lict innocent.
De honte à mon resveil je suis toute confuse,
Et, d’un œil tout fasché,
Je voy dans mon miroir la rougeur qui m’accuse
D’avoir faict un peché.
Je me veux repentir de cette double offence,
Mais je ne sçay comment :
Car mon esprit troublé me faict une deffence
Que luy-mesme desment.
Dans mon lict desolé, toute moitte de larmes,
Je prie tous les dieux
De mal traicter Morphée, à cause que ses charmes
Ont abusé mes yeux.
Helas ! il est bien vray que je suis amoureuse,