- Et qu’en mon sainct amour
Je me puis reputer l’amante plus heureuse
- Qui soit en caste cour.
J’adore une beauté si vive et si modeste
- Qu’elle peut tout ravir,
Et qui ne prend plaisir d’estre toute céleste
- Qu’afin de me servir.
Il a dedans ses yeux des pointes et des charmes
- Qu’un tigre gousteroit,
El si Mars luy voyoit mettre la main aux armes,
- Il le redouteroit.
Il va dans les combats plus fier qu’à la rapine
- Ne marche le lyon,
Et plus brave qu’Achille ardant à la ruine
- Des pompes d’Ilion.
C’est le meilleur esprit et le plus beau visage
- Qu’on ayt encores veu,
Et les plus généreux n’ont point eu d’advantage
- Que mon amant n’ayt eu.
La gloire entre les cœurs qui la font mieux paroistre
- Faict estime du sien,
Et les mieux accomplis ne le sauroient cognoistre
- Sans en dire du bien.
Hors de luy la vertu dans l’ame la plus belle
- Est comme en un tombeau,
Et ses plus grands esclats sont moins qu’une estincelle
- Au prix de ce flambeau.
Je pense, en l’adorant, que mon idolâtrie
- A beaucoup mérité,
Et j’aymerois bien mieux mettre à feu ma patrie
- Que l’avoir irrité.
Dieux, que le beau Paris eut une belle proye î
- Que cet amant fit bien
Alors qu’il alluma l’embrasement de Troye
- Pour amortir le sien !