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sentis que l’acier, aux mains de l’opérateur, au lieu de pénétrer dans mes chairs, lui échappait et j’entendis tous les médecins pousser un cri de stupeur :

— Il est blanc !

Plus tard je compris le sens de cette exclamation, c’est que, sous l’intensité des tortures morales et physiques que je venais d’endurer, mes cheveux et ma barbe étaient devenus subitement blancs.

Alors, il se produisit un grand brouhaha dans l’amphithéâtre ; par la porte entr’ouverte, j’entendis la voix de ma femme qui venait réclamer mon cadavre avec insistance et, au dehors, un grand mouvement : le feu était dans un immeuble voisin.

Les médecins, tout à cet évènement imprévu, m’abandonnèrent, et l’un d’eux dit d’un ton brutal à ma femme :

— Emmenez cette charogne et foutez-nous la paix.

D’un bond, comme une panthère, ma femme me prit sur ses épaules et me jeta dans une voiture, en bas, où étaient mes enfants.

Dix minutes plus tard, non pas chez moi, mais chez des amis sûrs, ma femme me déposait sur un lit, bandait les plaies de mon bras, pansait mon ventre, qui n’était d’ailleurs qu’égratigné, et me soufflait énergiquement dans la bouche ; à peine quelques minutes s’étaient-elles passées que, grâce à cette respiration artificielle, je rouvrais les yeux, j’étais rappelé à la vie — à la vraie — j’étais sauvé !

Nous nous sommes empressés de fuir le pays ; je vous envoie cette lettre de l’Amérique du Sud et j’ai bien envie d’aller en Afrique, au milieu des noirs,