Page:Vicaire - L’Heure enchantée, 1890.djvu/91

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A passé dans leur âme et la fait tressaillir
Comme le gui sacré qu’un prêtre va cueillir.
Celle qu’on appelait jadis la sœur aînée,
La plus grave des trois et la plus obstinée,
Celle qui conduisait, en des temps plus heureux,
La ronde merveilleuse autour des chemins creux,
S’est tout à coup dressée au bord de la clairière,
Et la nuit en silence écoute sa prière,
La nuit, qui reconnais la voix de son enfant
Et ne se courbe pas sous l’homme triomphant :

— « Filles du vieux Bélen, quelles métamorphoses
Depuis le jour sacré qui reçut nos aveux,
Lorsque nous regardions, des lys dans nos cheveux,
L’aurore se lever sur les campagnes roses !

« Le ciel nous souriait comme un père indulgent.
L’univers nu riait en sa beauté sans voiles,
Et nous aimions a voir du réseau des étoiles
Sortir la lune blonde et le soleil d’argent.

« Quelle fleur de gaieté ! La terre adolescente
Offrait ses jeunes seins à tous, sans se lasser.
L’amour, comme un enfant, se laissait caresser,
La vie était sans tache et la mort innocente.

« Des hommes sont venus, stupides et méchants,
Dont l’haleine glacée a soufflé notre joie.
Ils ont dit : « Fais silence » à l’aube qui flamboie,
Ils ont voilé de noir la pourpre des couchants.