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maman, qui m’aimait à la folie, m’avait toujours auprès d’elle ; elle vivait chez ma grand’mère ; notre famille, très riche, très unie, très puissante à Versailles, n’avait pour ainsi dire d’enfants que moi. Mes deux cousins de Lorge étaient au collège, les enfants de ma tante de Chastellux en nourrice ; tous les soins étaient pour moi. Ma grand’mère, dont l’esprit et la grâce étaient inimitables, bien secondée par ses enfants et surtout par ma mère, attirait chez elle tout ce qu’il y avait de plus grand et de plus aimable à la Cour. Le dimanche et le mardi, jours où le Roi recevait, la maison de ma grand’mère était pleine ; le reste du temps, un petit nombre d’amis choisis embellissait sa vie. Madame Victoire passait toutes les soirées chez elle ; ses bontés et son amitié faisaient qu’on oubliait son rang.

J’ai passé ainsi les quatorze premières années de ma vie ; j’ai connu chez ma grand’mère presque toutes les personnes célèbres, ministres, ambassadeurs, princes, tant français qu’étrangers, même le roi de Suède[1] ; j’ai en témoin de toutes les fêtes et de toutes les magnificences de la Cour et des particuliers.

[Mais en général, toutes ces choses ne m’ont laissé qu’un souvenir confus. Elles ne me paraissaient ni remarquables ni extraordinaires, elles entraient dans les habitudes journalières du monde au milieu duquel je vivais.]

Je me rappelle cependant une chose qui me frappa. Je voyais sans cesse chez ma grand’mère le cardinal de Rohan[2] : j’avais alors neuf ans, j’allais partir avec ma gouvernante pour diner à la campagne chez mesdemoiselles de Sérent[3], quand on vint

  1. Gustave III d’Holstein-Eutin, né le 24 janvier 1746, succéda le 12 février 1771, à son père Adolphe-Frédéric, et fut assassiné dans un bal masqué par un agent des sociétés secrètes, le 16 mars 1792 ; il mourut au bout de treize jours.
  2. Le prince Louis de Rohan-Guémenée, né à Paris le 25 septembre 1734, sacré évêque de Canople, en Égypte, en 1760, cardinal en 1778, évêque de Strasbourg en 1779, ambassadeur, grand aumônier. Il fut, à la suite de l’affaire du collier, exilé à l’abbaye de la Chaise-Dieu, en Auvergne. Ensuite député aux états généraux, il mourut en 1803.
  3. Anne-Félicité-Simonne de Sérent, née en 1780, mariée en 1799 à Étienne-Charles, comte de Damas-Crux ; lieutenant général, grand-croix de Saint-Louis,