Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/80

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Le désespoir s’empare de son âme, de n’avoir pu s’introduire dans le château. On criait dans la rue ; Au secours ! voilà les Suisses qui viennent, nous sommes perdus ! L’instant d’avant, nous avions vu défiler trois mille hommes avec des piques neuves, qui venaient du fond du faubourg. Le bataillon de notre section avait marché aussi, était revenu, retourné encore. Nous croyons une minute que le Roi a le dessus, mais une seule minute tout au plus ; car au cri de : Au secours ! succèdent bien vite les cris de : Vive la nation ! vivent les sans-culottes ! Nous restons consternés, entre la vie et la mort ; quant à M. de Marigny, il est enveloppé et obligé d’aller avec le peuple attaquer le château. Au commencement du feu, une femme, qui avait été forcée comme lui de marcher, est blessée ; il la prend et l’emporte. Il se sauve ainsi de cette horrible position, qui a été commune à bien d’autres personnes, venues pour défendre le Roi, mais entraînées par le peuple, faute d’avoir pu pénétrer aux Tuileries. Depuis minuit, on avait mis des piquets de la garde nationale à toutes les portes, avec ordre de ne point laisser entrer, afin que le Roi n’eût pas de défenseurs.

M. de Montmorin vint se réfugier chez maman. Il était entré en courant chez un épicier qu’il ne connaissait pas, et demandait un verre d’eau-de-vie ; dans ce moment, quatre gardes nationaux, revenant de se battre, ivres de carnage, apparurent comme des furieux. L’épicier, se doutant que M. de Montmorin était du château, lui dit sur-le-champ : « Mon cousin, vous ne vous attendiez pas, en arrivant de la campagne, à voir la fin du tyran ; allons, buvez à la santé de ces braves camarades et de la nation. » C’est ainsi que cet homme généreux le sauva sans le connaître ; mais, hélas ! il périt au 2 septembre. Il vint aussi chez moi d’autres personnes ; ce fut pour nous la journée la plus cruelle ; on massacrait tous les Suisses, et sur notre porte il y avait : Hôtel Diesbach, ce qui était remarqué par beaucoup de passants ; de plus, on disait que M. de Lescure était chevalier