Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/81

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du poignard ; nous attendions la mort, mais heureusement les habitants de notre rue n’étaient pas méchants et nous étaient assez attachés, par la précaution que nous avions prise de nous fournir de tout ce dont nous avions besoin chez nos voisins. On ignorait que M. Grémion était logé dans l’hôtel ; arrivé de la campagne la veille, il n’avait pas de carte pour entrer aux Tuileries, parce qu’on venait de les changer, ce qui l’avait empêché de s’y rendre ; la même raison avait retenu mon père.

Nous attendons le soir avec impatience pour fuir, nous nous déguisons et nous sortons chacun séparément ; il était convenu que nous irions nous réfugier dans le faubourg Saint-Germain, rue de l’Université, chez une ancienne femme de chambre. Maman part avec mon père et s’y rend sans accident. Il n’en est pas de même de moi ; je sors un instant après, avec M. de Lescure ; j’avais exigé qu’il quittât ses pistolets, pensant que cela le ferait reconnaître pour chevalier du poignard ; [c’est ainsi que le peuple nommait les personnes qui se rendaient près du Roi.] Il céda malgré lui à mes vives instances, par pitié pour mon état : j’étais alors grosse de sept mois ; mon entêtement faillit me coûter la vie. Nous suivons la rue de Marigny, qui est plantée d’arbres, et de là nous entrons dans les Champs-Élysées ; il y fait très noir, quoique nous soyons aux premières allées ; le plus profond silence y règne ; de loin seulement, on entend des coups de fusil du côté des Tuileries ; mais personne au monde dans les allées. Tout d’un coup, nous distinguons la voix d’une femme qui crie : Au secours ! et s’élance vers nous. Elle était poursuivie par un homme qui menaçait de la tuer ; elle prend le bras de M. de Lescure, en lui disant : « Monsieur, défendez-moi. » Il était fort embarrassé, sans armes et tenu par deux femmes ; nous étions, chacune d’un côté, attachées à son bras, et presque évanouies ; il cherche en vain à se débarrasser de nous pour aller sur cet homme qui nous couchait en joue, disant qu’il avait tué