Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/100

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en France, en Angleterre, en Hollande, deux fois en Sardaigne. C’était un homme d’une rare intelligence, d’une activité peu commune, et qui, valant à lui seul mieux que nos quatre autres serviteurs pris en masse, sera désormais le véritable protagoniste dans la comédie de ce voyage. Il en fut immédiatement le seul et vrai pilote, attendu notre incapacité absolue à nous autres huit, jeunes garçons ou vieux enfans.

Notre première station fut à Milan, où nous restâmes environ quinze jours. Pour moi, qui avais déjà vu Gènes deux ans auparavant, et qui étais accoutumé à la magnifique position de Turin, celle de Milan ne devait et ne pouvait me plaire en rien. Les merveilles qu’il pouvait y avoir à visiter, je ne les vis point, ou je les vis mal, au pas de course, en homme fort ignorant, et qui n’avait de goût pour aucun art utile ou agréable. Je me rappelle entre autres qu’à la bibliothèque Ambroisienne, le bibliothécaire m’ayant mis entre les mains je ne sais plus quel manuscrit autographe de Pétrarque, moi, en vrai barbare, en digne Allobroge que j’étais, je le jetai là, en disant que je n’avais qu’en faire. Je crois bien que dans le fond du cœur j’avais contre ce Pétrarque un reste de rancune. Quelques années auparavant, pendant que je faisais ma philosophie, Pétrarque m’étant tombé entre les mains, je l’avais ouvert, au hasard, par le milieu, au commencement et à la fin ; et, en ayant lu ou épelé tout au plus quelques vers, je n’y avais rien compris ni pu saisir aucun sens ; aussi l’avais-je condamné, faisant cho-