Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/101

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rus en ceci avec les Français et avec tout le peuple des ignorans présomptueux ; et le tenant pour un parfait ennuyeux, grand diseur de subtilités et de fadeurs, on ne s’étonnera plus que j’accueillisse si bien ses inappréciables manuscrits.

Au reste, comme, en partant pour ce voyage d’une année, je n’avais pris avec moi d’autres livres que quelques voyages d’Italie, et tous en français, je faisais chaque jour de nouveaux progrès vers la perfection de cette barbarie où j’étais déjà si fort avancé. Avec mes compagnons de voyage, la conversation avait toujours lieu en français, et dans quelques maisons de Milan où j’allais avec eux, c’était toujours aussi le français que l’on parlait. Ainsi ces ombres d’idées que j’arrangeais dans ma pauvre cervelle n’étaient jamais vêtues que de haillons français ; si j’écrivais quelque lambeau de lettre, c’était aussi en français, et quand je voulais recueillir quelques ridicules souvenirs de mon voyage, c’était encore du français que je barbouillais, et le tout fort mal, n’ayant appris que du hasard cette langue travestie. Si jamais j’en avais su la plus petite règle, je n’avais garde de m’en souvenir ; mais l’italien, je le savais beaucoup moins encore : j’expiais ainsi le malheur d’être né dans un pays amphibie, et la belle éducation que j’y avais reçue.

Après un séjour d’environ deux semaines, nous partîmes de Milan. Les sots mémoires que j’écrivais alors sur mes voyages furent bientôt après corrigés de ma propre main et par le feu, comme