Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/105

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que depuis j’ai voulu chercher la raison d’une si sotte préférence, j’ai vu qu’un sentiment particulier de faux amour-propre m’y poussait à mon insu. J’avais, pendant plus de deux ans, vécu avec des Anglais, j’entendais exalter en tous lieux la puissance et la richesse de l’Angleterre, j’avais devant les yeux sa grande influence politique ; d’un autre côté, je voyais l’Italie entière morte, les Italiens divisés, affaiblis, avilis, esclaves ; et, honteux d’être Italien et de le paraître, je ne voulais rien de commun entre eux et moi.

Nous allâmes de Livourne à Sienne. Quoique cette dernière ville me plût médiocrement en elle-même, telle est cependant la puissance du beau et du vrai, que je sentis là comme un vif rayon qui tout-à-coup éclairait mon intelligence, et en même temps un charme irrésistible qui s’emparait de mes oreilles et de mon cœur, en entendant les personnes de la condition la plus humble parler d’une manière si suave et si élégante, avec tant de justesse et de précision. Toutefois je ne m’arrêtai qu’un jour dans cette ville. Le temps de ma conversion littéraire et politique était encore bien loin : j’avais besoin de sortir d’Italie et d’en rester éloigné long-temps pour connaître et apprécier les Italiens. Je partis donc pour Rome avec une palpitation de cœur presque continuelle, dormant fort peu la nuit, et tout le jour ruminant en moi-même Saint-Pierre, le Colysée, le-Panthéon, toutes les merveilles que j’avais tant ouï célébrer. Je laissais encore mon imagination s’égarer à loisir sur divers