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Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/119

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qui, outre celles que l’on célèbre à toutes les foires de l’Ascension, se donnaient, cette année, en l’honneur du duc de Wittenberg, et, entre autres, cette magnifique course des barques, me retinrent à Venise jusqu’au milieu de juin ; mais je ne m’en divertis pas davantage. Ma mélancolie accoutumée, l’ennui, le besoin de changer de place, recommençaient à me pénétrer de leurs cruelles morsures, aussitôt que l’habitude des objets m’avait rendu moins sensible à leur nouveauté. Je passai plusieurs jours à Venise, complètement seul, sans sortir de chez moi, et sans faire autre chose que me tenir à la fenêtre, d’où j’adressais de petits signes ou même quelques mots à une jeune dame qui demeurait en face de moi, et le reste de ces jours qui ne finissaient pas je le passais à sommeiller, à ruminer, quoi ? je ne saurais le dire, ou plus souvent encore à pleurer de je ne sais quoi, sans pouvoir jamais trouver le repos, sans chercher ni soupçonner même ce qui me l’ôtait ou me le troublait. Plusieurs années après, en m’observant un peu mieux, j’ai vu que c’était un accès périodique qui me reprenait chaque année au printemps, quelquefois en avril, souvent même dans tout le courant de juin. Le mal durait et se faisait sentir plus ou moins, suivant que le cœur et l’esprit étaient alors plus ou moins vides ou oisifs. J’ai observé également depuis, en comparant mon esprit avec un excellent baromètre, que je me trouvais avoir plus ou moins de gêne et de facilité pour composer, selon que l’air était plus ou moins lourd. Stupidité complète pendant les grands