Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/149

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pour n’avoir plus, moi-même, qu’à rêver ensuite sur ces deux pages pendant des heures entières. J’éprouvais bien aussi quelque honte lorsqu’il m’arrivait, à chaque page, de rencontrer deux ou trois passages latins, et que je me voyais forcé d’en chercher le sens dans la note, incapable désormais de comprendre même les plus simples citations en prose, loin de pouvoir entendre celles que Montaigne emprunte sans cesse aux plus grands poètes. Je ne me donnai même plus la peine de l’essayer, j’allai droit à la note. Que dis-je ? ces fragmens de nos premiers poètes italiens, dont l’ouvrage fourmille, je les sautais à pieds joints ; il m’eût fallu quelque peu d’effort pour m’en rendre bien compte ; tant était grande ma primitive ignorance, et tant j’avais hâte d’oublier cette divine langue dont j’allais, chaque jour, perdant de plus en plus l’habitude.

Pour, me rendre à Vienne, je passai par Milan et Venise, deux villes que je voulus revoir ; puis par Trente, Inspruck, Augsbourg et Munich ; mais je m’arrêtai fort peu dans chaque lieu. Vienne me parut avoir une bonne partie de la mesquinerie de Turin ; mais elle n’en a point la belle position. J’y demeurai tout l’été, mais sans y rien apprendre. Je coupai mon séjour en deux, au mois de juillet, par une excursion que je poussai jusqu’à Bude. J’avais voulu voir quelque chose de la Hongrie. Redevenu le plus désœuvré des hommes, je me bornai à fréquenter tour à tour les différentes sociétés, mais toujours sévèrement en garde contre les pièges de l’amour. Pour m’en défendre, je n’avais rien de