Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/150

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mieux à faire que de pratiquer le remède recommandé par Caton[1]. Pendant mon séjour à Vienne, j’aurais pu aisément connaître et hanter le célèbre poète Métastase, chez qui, chaque jour, notre ministre, le vénérable comte de Canale, passait plusieurs heures de la soirée dans la compagnie choisie d’un petit nombre de personnes lettrées, où on lisait régulièrement quelques morceaux des classiques grecs, latins ou italiens. Et le bon vieux comte de Canale, qui m’avait pris en grande amitié, et qui souffrait de voir tout le temps que je perdais, voulut plusieurs fois me présenter à Métastase. Mais, outre ma bizarrerie naturelle, j’étais encore tout entier abîmé dans le français, et plein de mépris pour les livres et les auteurs italiens ; j’avais peine à voir dans une réunion d’hommes initiés aux lettres classiques autre chose qu’une assemblée de pédans ennuyeux. D’ailleurs, j’avais eu, un jour, l’occasion de voir Métastase, à Schoënbrunn, dans les jardins de l’empereur, faire à Marie-Thérèse la petite génuflexion d’usage, avec un visage si servilement heureux et courtisan, et en jeune homme qui plutarquise, je me faisais, moi, une idée si exagérée de la vérité absolue, que pour rien au monde je n’eusse voulu me lier, ni même entrer en relation avec une muse louée ou vendue à ce pouvoir despotique qui m’était si franchement odieux. C’est ainsi que peu à peu je prenais les al-

  1. Je n’ai pas cru devoir transcrire ici le passage de Plutarque (Vie de Caton, parag. xxxii).La suite ne fera que trop comprendre la nature du conseil qu’il renferme. (Note du Tr.)