Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/169

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et je comptais les heures et les minutes ; je vivais dans un délire continuel, inexprimable, autant que difficile à croire pour qui ne l’a pas éprouvé, et bien peu, certes, l’auront éprouvé comme moi. Je ne retrouvais un peu de calme qu’en allant toujours sans savoir où. Mais à peine m’asseyais-je pour me reposer, pour manger ou pour essayer de manger, qu’aussitôt je me relevais avec des cris et des hurlemens horribles, et me démenais par ma chambre comme un forcené, si l’heure ne me permettait pas de sortir. Je possédais plusieurs chevaux, entre autres ce bel animal que j’avais acheté à Spa, et qui m’avait suivi en Angleterre ; je faisais sur ce cheval mille extravagances à faire frémir les plus intrépides cavaliers de Londres, franchissant d’un bond les plus hautes et les plus larges haies, les fossés les plus profonds, et des barrières autant qu’il s’en présentait. Un matin, entre deux de mes visites à cette chère maison de campagne, me promenant avec le marquis de Caraccioli, je voulus lui montrer ce que savait faire en sautant ce merveilleux cheval, et désignant de l’œil une barrière fort élevée qui séparait un pré de la grande route, je m’y portai au galop. Mais comme j’avais à moitié perdu la tête, j’oubliai de rendre la main et de donner à temps le coup d’éperon au cheval ; il toucha du pied le devant de la barrière, et tous deux, en un bloc, nous allâmes tomber sur le pré ; il se releva, moi ensuite, et je crus ne m’être fait aucun mal. Mon fol amour avait du reste quadruplé mon courage, et on eût dit que j’avais pris à tâche de