Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/172

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ma belle qui m’attendait, et sans beaucoup nous inquiéter l’un et l’autre de là circonstance de cette petite porte qu’elle avait ouverte elle-même quelques heures auparavant, et qui maintenant se trouvait close, je restai près d’elle jusqu’à la pointe du jour. Je sortis comme j’étais entré, et bien persuadé que pas une ame ne m’avait vu, je repris la même route jusqu’à ma chaise, je remontai dedans, et j’arrivai à Londres vers les sept heures du matin, partagé entre le regret cuisant d’avoir quitté ma maîtresse, et l’ennui de rapporter chez moi une épaule plus malade. Mais mon ame était dans un tel état de démence et de furie, que je ne m’inquiétais de rien, quoi qu’il pût m’arriver, prévoyant d’ailleurs toute chose. Je fis rattacher par le chirurgien les ligatures dérangées, sans lui vouloir permettre de toucher autrement à l’épaule, qu’elle fût ou ne fût pas disloquée. Le mardi soir, je me sentis un peu mieux, et ne voulant pas rester chez moi, j’allai au Théâtre-Italien, et comme à l’ordinaire, dans la loge du prince de Masserano, qui s’y trouvait avec sa femme ; ils me croyaient dans mon lit, à demi estropié, et ne furent pas médiocrement étonnés de me voir simplement le bras en écharpe. Tranquille cependant en apparence, j’écoutais la musique, qui réveillait dans mon cœur mille tempêtes terribles. Mais, quoique fortement ému, mon visage était ce qu’il est toujours, du marbre. Tout-à-coup j’entends ou je crois entendre quelqu’un parler vivement et prononcer mon nom à la porte de la loge, qui était fermée. Aussitôt, par un simple