Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/175

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donc sur lui en désespéré, et contre toutes les règles de l’art ; pour dire la vérité, je ne cherchais qu’à me faire tuer. Je ne saurais dire comment se fit la chose, mais le fait est que je pressai très-vivement mon adversaire ; car, en commençant, le soleil qui se couchait me donnait droit dans les yeux et m’empêchait presque d’y voir, et au bout de sept ou huit minutes, je m’étais si fort porté en avant, lui en arrière, et en rompant il avait décrit une courbe telle, que je finis par avoir le soleil dans le dos. Nous bataillâmes long-temps de la sorte, moi toujours portant les coups, lui toujours les repoussant, et je suis tenté de croire que s’il ne me tua pas, c’est qu’il ne le voulut point, et que si je ne le tuai point, c’est que je ne le sus pas. Enfin, en parant une botte, il m’en allongea une autre qui me toucha le bras droit entre le coude et le poignet, et me fit aussitôt remarquer que j’étais blessé ; je ne m’en étais pas aperçu, et la blessure était, en effet, peu de chose. Alors abaissant le premier la pointe de son épée, il me dit qu’il était satisfait, et me demanda si je l’étais aussi. Je lui répondis que je n’étais pas l’offensé, et que la chose le regardait. Il remit alors son épée dans le fourreau, et j’en fis autant. Puis je le laissai partir, et restai quelque temps encore sur le terrain pour voir au juste ce qu’était ma blessure ; je trouvai mon habit déchiré tout du long, et n’éprouvant qu’une douleur légère, le sang d’ailleurs coulant fort peu, je jugeai que j’avais reçu une simple égratignure. Du reste, ne pouvant m’aider de mon bras gauche, il