Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/176

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ne m’eût pas été possible d’ôter seul mon habit ; c’est pourquoi, à l’aide de mes dents, je me contentai de rouler le mieux que je pus et de nouer un mouchoir autour de mon bras droit, pour, arrêter le sang ; puis je sortis du parc par cette même rue de Pall-Mall. Lorsque je repassai devant le théâtre que j’avais quitté trois quarts d’heure avant, ayant vu à la lumière de quelques boutiques que je n’avais de sang ni aux mains, ni sur mes vêtemens, je dénouai avec mes dents le mouchoir qui enveloppait mon bras, et ne ressentant plus aucune douleur, il me prit la puérile et folle pensée de rentrer au théâtre et dans la loge d’où j’étais sorti pour aller me battre. En me revoyant,le prince de Masserano me demanda pourquoi je m’étais jeté si brusquement hors de sa loge, et où j’avais été. Je vis alors qu’ils n’avaient rien entendu du court entretien qui avait eu lieu hors de la loge, et je dis m’être souvenu tout-à-coup que j’avais à parler à quelqu’un, et que j’étais sorti pour cela. Je n’ajoutai pas un mot de plus. Mais j’avais beau faire effort sur moi-même, je ne pouvais me défendre d’une excessive agitation d’esprit, en songeant à l’issue probable de cette affaire, et à tous les malheurs qui devaient fondre sur celle que j’aimais. C’est pourquoi, au bout d’un quart d’heure, je partis, ne sachant ce que j’allais faire de moi. Une fois hors du théâtre, il me vint à l’esprit (dès là que ma blessure ne m’empêchait pas de marcher) de me rendre chez une belle-sœur de ma maîtresse qui favorisait nos amours, et chez laquelle nous nous étions vus aussi quelquefois.