Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nées. On ne comprendra pas aisément ce mélange réciproque de férocité et de générosité des deux parts, si l’on n’a l’expérience de nos mœurs et de notre tempérament, à nous autres Piémontais.

Lorsque ensuite je me demandai compte à moi-même de mon horrible emportement, je n’eus pas de peine à me convaincre que, à l’excessive irascibilité de mon caractère venant se joindre l’âpreté sauvage que je puisais dans la solitude et dans une oisiveté éternelle, il n’avait fallu qu’un cheveu tiré pour combler le vase et le faire déborder en un instant. Jamais du reste je n’ai frappé un domestique autrement que je n’eusse fait mon égal, jamais avec le bâton ou d’autres armes que mes poings, une chaise, la première chose qui me tombait sous la main, comme il arrive lorsque, provoqué par d’autres jeunes gens, on se voit forcé d’en venir aux coups. Mais dans les très-rares occasions où pareille chose m’est arrivée, j’aurais toujours approuvé et même estimé des domestiques qui m’eussent rendu gourmade pour gourmade ; car ici ce n’était pas un maître qui battait son valet : c’était un homme qui en prenait un autre à partie.

En continuant à vivre ainsi comme un ours, j’arrivai au terme de mon court séjour à Madrid, sans avoir vu une seule des merveilles qui pouvaient exciter quelque curiosité, ni ce fameux palais de l’Escurial, ni Aranjuez, ni même le palais du roi à Madrid, loin que j’en eusse vu le maître. Cette sauvagerie venait principalement de ce que j’étais en froid avec notre ambassadeur de Sardaigne. Je