comme homme et comme philosophe que peut-être je ne vaux en effet.
Mon père se nommait Antoine Alfieri, ma mère Monique Maillard de Tournon. Elle était d’origine savoyarde, comme le témoignent ses noms barbares, mais sa famille était depuis longtemps établie à Turin. Mon père, qui était un homme de mœurs irréprochables, n’exerça jamais aucun emploi, et resta pur de toute ambition : je l’ai toujours ouï dire ainsi à ceux qui l’avaient connu. Ayant de fortune ce qu’il en fallait à son rang, doué d’une juste modération dans ses désirs, il vécut passablement heureux. À l’âge de plus de cinquante-cinq ans, étant devenu amoureux de ma mère, qui, quoique fort jeune, était déjà veuve du marquis de Cacheranno, gentilhomme d’Asti, il l’épousa. La naissance d’une fille, qui précéda la mienne d’environ deux années, avait plus que jamais éveillé dans le cœur de mon bon père le désir et l’espérance d’avoir un fils : aussi ma venue en ce monde fut-elle fêtée outre mesure. Mon père s’en réjouissait-il à cause de son âge avancé, ou par amour pour la noblesse de son nom et la perpétuité de sa race ; je croirais assez volontiers que chacune de ces raisons entra pour moitié dans sa joie. Toujours est-il que m’ayant mis en nourrice dans un hameau nommé Rovigliano, à deux milles environ d’Asti, il y venait presque tous les jours, à pied, pour me voir ; car c’était un homme sans faste et de manières très-simples. Mais comme il avait déjà passé la soixantaine, quoique vert encore et robuste, et qu’il se li-