Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/209

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tion était de nous divertir, et de souper souvent ensemble, toujours sans le plus petit scandale ; on se réunissait, du reste, un soir par semaine, pour raisonner ou déraisonner à loisir sur toute chose.

Ces augustes séances se tenaient chez moi, parce que j’avais une maison plus belle et plus spacieuse que celle de mes compagnons, et qu’on y était plus libre, moi seul y demeurant. Parmi tous ces jeunes gens, bien nés d’ailleurs et appartenant aux premières familles de l’état, il y avait un peu de tout : des riches et des pauvres, des bons, des médiocres, quelques-uns excellens, plusieurs spirituels, quelques sots, d’autres fort instruits. La conséquence de ce mélange, dont le hasard avait merveilleusement tempéré les élémens, c’est que je ne pouvais (et si je l’avais pu, je ne l’aurais point voulu) y primer en aucun genre, bien que j’eusse vu plus de choses qu’aucun d’eux. Les lois que nous établîmes ne furent pas dictées, mais discutées. Elles furent impartiales, justes, les mêmes pour tous. Un corps tel que le nôtre pouvait donc tout aussi bien fonder une république régulière, qu’une bouffonnerie régulièrement constituée. Le hasard et les circonstances voulurent que ce fût l’une plutôt que l’autre. Nous avions établi un tronc assez vaste, dans lequel on introduisait, par l’ouverture supérieure, des écrits de tout genre, que lisait ensuite le président de nos réunions hebdomadaires, lequel avait la clef du tronc. Parmi ces écrits, il s’en trouvait parfois d’assez originaux