Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/211

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satire, que pour attacher aux choses et aux personnes le trait du ridicule ; mais, en y réfléchissant, et en pesant les choses, quoiqu’il me parût que je saurais manier cette arme avec assez d’adresse, j’appréciais médiocrement au fond du cœur ce genre si trompeur et si vain. Le succès, souvent éphémère, qui l’attend, se fonde plutôt sur l’envie et la malignité des hommes, toujours prêts à se réjouir lorsqu’ils voient mordre leurs semblables, que sur le mérite réel de celui qui les a mordus.

Mais, à cette époque, mon excessive et perpétuelle dissipation, une indépendance absolue, les femmes, mes vingt-quatre ans, et mes chevaux, dont j’avais porté le nombre jusqu’à plus de douze, tous ces obstacles si puissans pour empêcher le bien, étouffaient et endormaient chez moi toute velléité de devenir auteur. Je continuai à végéter ainsi dans mon oisiveté de jeune homme, n’ayant, pour ainsi dire, pas une heure à moi, et n’ouvrant plus aucun livre : il était donc naturel que je retombasse dans quelque triste amour. Mais après des angoisses infinies, mille hontes et mille tourmens, j’y échappai enfin par un amour sincère, généreux, frénétique, de savoir et de produire. Dès lors, il ne me quitta plus, et s’il n’a fait davantage, il m’arracha du moins à toutes les horreurs de l’ennui, de la satiété, de l’oisiveté, peut-être au désespoir. Je m’y sentais entraîné peu à peu, par une pente irrésistible, et si je ne m’étais plongé dans cette ardente et continuelle occupation d’esprit, rien au monde ne pouvait m’empêcher d’ar-