Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/215

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espoir où ne cessait de me plonger cet indigne amour avaient été la vraie cause de cette maladie singulière, et ne voyant pas d’issue pour sortir de cet impur labyrinthe, j’espérais, je désirais en mourir. Le cinquième jour, les médecins commençant à craindre sérieusement que je n’en revinsse pas, on députa vers moi un digne cavalier de mes amis, mais beaucoup plus âgé que moi, pour m’engager à faire ce que son air et le préambule de son discours me firent deviner avant qu’il me parlât, c’est-à-dire à me confesser et à dicter mon testament. Je le prévins en demandant à faire l’un et l’autre, et mon âme n’en fut point troublée. Deux ou trois fois, dans ma jeunesse, il m’est arrivé de voir la mort bien en face, et il me semble que je l’ai toujours vue avec le même visage. Qui sait si, lorsqu’elle se représentera sans espérance de retour, je saurai la recevoir avec la même tranquillité ? Cela n’est que trop vrai, il faut que l’homme meure pour donner aux autres et à lui-même la mesure de sa juste valeur.

À peine échappé de cette maladie, je repris tristement mes chaînes amoureuses ; mais pour me soulager de quelque autre, je renonçai aux doux liens du service militaire, qui m’avaient toujours souverainement déplu ; je ne pouvais souffrir ce métier des armes, plus odieux sous le despotisme, toujours incompatible avec ce saint nom de patrie.

Je dois convenir cependant ici que dans ma honte la part de Vénus était plus grande que celle de Mars. Quoi qu’il en soit, j’allai chez mon colonel, et alléguant l’état de ma santé, je le priai de re-