Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/216

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cevoir ma démission d’un service que, à vrai dire, je n’avais jamais fait ; car des huit ans que j’avais porté l’uniforme, j’en avais passé cinq hors du pays, et pendant les trois autres, j’avais à peine assisté à cinq revues : il n’y en avait que deux par année dans ces régimens des milices provinciales où je servais. Le colonel voulut m’y laisser penser plus à loisir avant de solliciter ma démission. Je me rendis à ses conseils par courtoisie, et feignant d’y avoir, réfléchi pendant quinze jours, je renouvelai ma démarche avec plus d’instance encore, et ma démission fut acceptée.

1774. Cependant je continuais à traîner mes jours dans la servitude, honteux de moi-même, ennuyeux et ennuyé, évitant mes connaissances, fuyant mes amis, qui ne me laissaient que trop bien lire dans l’expression silencieuse de leur visage le reproche de ma misérable faiblesse. Au mois de janvier 1774, ma maîtresse fut attaquée d’un mal dont je pouvais bien être la cause, quoique ma conviction à cet égard ne fût pas entière, et comme son mal exigeait un repos et un silence absolus, je me tenais fidèlement assis au pied de son lit pour la servir : j’y demeurais du matin au soir, évitant même d’ouvrir la bouche, de peur de l’incommoder en la faisant parler. Pendant l’une de ces factions assurément peu divertissantes, l’ennui me poussant, je m’emparai de cinq ou six feuilles de papier qui me tombèrent sous la main, et je commençai ainsi au hasard et sans aucun plan à griffonner une scène, dirai-je, de tragédie ou de comédie, je ne sais ; cela devait-il avoir un