Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ger, au lieu de revenir comme je l’avais promis. J’aurais voulu me voir libre, mais je ne savais ni ne pouvais reconquérir ma liberté. Cependant, comme il n’y avait pour moi de paix que dans le mouvement et la distraction des voyages, je me rendis en toute hâte à Florence, en passant par Modène, Parme et Bologne. De Florence, où je ne pus m’arrêter plus de deux jours, je partis aussitôt pour Pise et Livourne. Dans cette dernière ville, je reçus les premières lettres de ma maîtresse, et ne pouvant rester loin d’elle plus long-temps, je pris immédiatement la route de Lerici et de Gènes. À Gènes, je laissai mon abbé et ma voiture, qui avait besoin d’être réparée, et je partis à franc étrier pour Turin, où j’arrivai dix-huit jours après en être sorti pour un voyage d’un an. Cette fois encore, j’y entrai de nuit pour ne pas me faire chansonner d’un chacun. Voyage vraiment burlesque, qui cependant me coûta bien des larmes.

J’avais une égide contre les railleries de mes connaissances et de mes amis ; ce n’était pas une bonne conscience, mais un visage sérieux et froid comme le marbre. Aucun d’eux ne s’avisa de me faire compliment sur mon heureux retour, retour malheureux au contraire ; car devenu à mes yeux le plus méprisable des hommes, je tombai dans un tel abaissement et dans une mélancolie si profonde, que si cette situation se fût prolongée, je devenais fou, ou mon front éclatait, comme, en effet, l’un ou l’autre faillit m’arriver.

Cependant je traînai encore ces viles chaînes de-