Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/224

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rête dans une mauvaise petite auberge du faubourg, d’où j’écris humblement à ma maîtresse irritée, la suppliant de me pardonner ce coup de tête et de vouloir bien m’écouter un moment. La réponse ne se fait pas attendre : c’est Élie qui me la rapporte, Élie que j’avais laissé à Turin pour prendre soin de mes affaires pendant mon voyage, qui devait être d’un an, Élie toujours destiné à guérir mes blessures ou à les cacher. L’audience m’est accordée, je pénètre dans la ville, comme un proscrit, au tomber de la nuit, j’obtiens dans toute son étendue le plus honteux des pardons, et, au point du jour, je repars pour Milan. Il avait été convenu entre nous que dans cinq ou six semaines, ma santé me fournirait un prétexte pour revenir à Turin. Et tour à tour ainsi ballotté entre la raison et la folie, la paix était à peine conclue que de nouveau, seul avec mes pensées sur la grande route, je ne me retrouvai plus sensible qu’à la honte de ma faiblesse et de ma lâcheté. C’est ainsi que j’arrivai à Milan, déchiré de remords, dans un état ridicule tout à la fois et digne de pitié. Je ne savais pas alors, mais je sentais par expérience cette belle, élégante et profonde parole de Pétrarque, de notre maître en amour :

« Que celui qui comprend est vaincu par celui qui veut. »

Je restai à peine deux jours à Milan, toujours rêvant, et cherchant tantôt le moyen d’abréger ce maudit voyage, tantôt un prétexte pour le prolon-