avec les yeux, quelquefois avec les lèvres, sans savoir ensuite un seul mot de ce que j’avais lu. Je montais aussi à cheval, cherchant les lieux déserts, et c’était la seule chose qui me fît un peu de bien à l’esprit et au corps. Cette espèce de délire dura plus de deux mois, jusqu’à la fin de mars 1775. Une idée alors s’emparant de moi tout-à-coup, commença enfin à détourner un peu mon esprit et mon cœur de cette pensée unique, l’importune et desséchante pensée de ce cruel amour. Un jour donc, comme je me demandais, en rêvant, s’il ne serait pas temps encore de me livrer à la poésie, je parvins à faire, avec grand’peine et par fragmens, un petit essai de quatorze vers. Je m’imaginai de bonne foi avoir composé un sonnet, et j’envoyai mon œuvre à l’aimable et docte père Paciaudi, que de temps en temps je recevais chez moi, et qui m’avait toujours montré beaucoup d’attachement, comme aussi beaucoup de regret de me voir ainsi tuer le temps et moi-même dans une oisiveté si pernicieuse. Je donnerai ici, outre mon sonnet, la gracieuse réponse qu’il me valut. Cet excellent homme ne cessait de m’indiquer quelque lecture à faire en italien, tantôt ceci, tantôt cela. Un jour, entre autres, qu’il aperçut à l’étalage d’un libraire une Cléopâtre, qu’il nommait l’éminentissime parce qu’elle était du cardinal Delfino, il se souvint de m’avoir entendu dire qu’il y avait là le sujet d’une tragédie, et que j’aurais voulu l’essayer, sans que cependant je lui eusse rien montré de ce premier avorton dont il a été parlé tout à l’heure ; il acheta cette pièce