Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/231

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-longue cette moitié de Cléopâtre qui y était en presse depuis près d’un an. Puis arriva un jour où, au milieu de mes extravagances et dans ma solitude presque continuelles, je jetai les yeux sur ce manuscrit ; et frappé seulement alors de la ressemblance de ma situation avec celle d’Antoine, je me dis à moi-même : « Achevons cette tragédie, refaisons-la, si elle ne peut rester ainsi ; mais il y faut développer les passions qui me dévorent, et la faire jouer, ce printemps, par les comédiens qui nous viendront. » Cette idée était à peine entrée dans mon esprit, que je me sentis comme en voie de guérison. Me voilà donc barbouillant du papier, ravaudant, changeant, coupant, ajoutant, continuant, recommençant, en un mot, redevenu fou, mais dans un autre genre, pour cette pauvre Cléopâtre, si malheureusement née. Je ne rougis pas non plus de consulter quelques-uns des amis de mon âge, qui n’avaient pas, comme moi, négligé pendant tant d’années la langue et la poésie italienne ; je recherchais, sans craindre de les ennuyer, tous ceux qui pouvaient me donner quelque lumière sur un art qui n’était pour moi que ténèbres ; je n’avais plus qu’un désir, celui d’apprendre, et de voir si je pourrais mener à bonne fin cette téméraire et très-périlleuse entreprise ; peu à peu ma maison se transformait en une sorte d’académie littéraire. Mais dans les circonstances données, je n’étais si souple et si désireux d’apprendre que par accident ; j’étais, de ma nature, et grâce à mon ignorance profonde, indocile et rebelle à tout en-