Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/232

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seignement : je me désespérais, je fatiguais les autres et moi-même, et, pour ainsi dire, sans profit aucun. Toutefois, c’était gagner beaucoup que de pouvoir, à l’aide de cette impulsion nouvelle, effacer de mon cœur toute trace d’une indigne flamme, et reconquérir pas à pas mon intelligence depuis si long-temps engourdie. Je ne me trouvais plus du moins dans la dure et ridicule nécessité de me faire lier sur ma chaise, comme j’avais fait plusieurs fois auparavant. Craignant de ne pouvoir résister à l’envie de m’échapper pour retourner à ma prison, c’était encore là un moyen que j’avais imaginé entre mille pour me ramener de vive force à la raison. Mes liens restaient cachés sous un grand manteau qui m’enveloppait tout entier, et mes mains demeurant libres, je pouvais lire, écrire, me frapper la tête, sans qu’aucun de ceux qui venaient me voir s’aperçût que je fusse de ma personne attaché à la chaise. Il se passait ainsi plusieurs heures. Élie seul était dans le secret : c’était lui qui me liait ; il me déliait ensuite lorsqu’après mon accès de fureur imbécile, sûr de moi et raffermi dans ma résolution, je lui commandais de me détacher. Je m’y pris de tant et de si diverses façons pour me soustraire à ces cruels assauts , qu’à la fin pourtant j’évitai de retomber dans le gouffre. Et parmi les moyens étranges que j’y employai, le plus étrange assurément, ce fut une mascarade que j’arrangeai sur la fin de ce carnaval, au bal public du théâtre. Vêtu en Apollon, j’osai m’y présenter, la lyre en main, et m’accompagnant moi-même tant bien