Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/267

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françaises. Il avait été précepteur de deux frères avec qui j’étais fort lié dans ma première jeunesse ; notre amitié datait de cette époque, et depuis nous l’avions toujours cultivée. Je dois ajouter, pour être juste, que dans mes premières années cet abbé avait fait tout au monde pour m’inspirer le goût des lettres, réassurant que je pourrais y réussir. Mais ce fut vainement. Souvent il nous arrivait de faire entre nous cette plaisante convention : il me lirait pendant une heure entière de ce roman où de ce recueil de contes qui a pour titre les Mille et une Nuits ; après quoi, je consentirais à m’entendre lire, pendant dix minutes seulement, un morceau des tragédies de Racine. Et moi qui étais tout oreilles pour les fades niaiseries de la première lecture, je m’endormais au son des plus doux vers de ce grand tragique. Aillaud s’emportait, m’accablait de reproches, et il avait bien raison. Telle était ma disposition à devenir auteur tragique, à l’époque où j’étais dans le premier appartement de l’Académie royale. Je n’ai pas mieux réussi plus tard à me faire à cette complainte monotone, muette et glaciale des vers français, qui jamais ne m’ont paru des vers, ni lorsque j’ignorais encore ce que c’était qu’un vers, ni plus tard, quand j’ai cru le savoir. Je retourne à ma retraite d’été, à Cézannes, où, avec mon abbé lettré, j’avais, en outre, près de moi un abbé musicien, de qui j’apprenais à pincer de la guitare, instrument qui me semblait fait pour inspirer un poète, et pour lequel j’avais certaines dispositions. Mais je n’avais pas toujours