Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/303

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autre Oreste, mais du moins sera-ce bien le vôtre. » Je fis ce qu’il me dit, et ce noble et généreux conseil devint pour moi dès lors un système. Toutes les fois depuis que j’ai entrepris de traiter des sujets déjà traités par d’autres modernes, je n’ai voulu lire leur ouvrage qu’après avoir esquissé et versifié le mien ; si je l’avais vu au théâtre, je cherchais aussitôt à ne plus m’en souvenir, ou si malgré moi je m’en souvenais, je m’attachais à faire, autant que possible, le contraire en tout de ce qu’ils avaient fait. Somme toute, j’y ai gagné, ce me semble, une physionomie et une allure tragiques, où peut-être il y a fort à reprendre, mais qui, à coup sûr, sont de moi.

Ce séjour à Sienne de près de cinq mois fut donc un véritable baume pour mon intelligence, et en même temps pour mon esprit. Outre les compositions dont j’ai parlé, j’y continuai avec persévérance et avec fruit l’étude des classiques latins, de Juvénal entre autres, qui me frappa vivement, et que dans la suite je n’ai cessé de relire non moins qu’Horace. Mais à l’approche de l’hiver, qui, à Sienne, n’est nullement agréable, comme d’ailleurs je n’étais pas encore bien guéri de ce besoin de changer de lieux, qui est une maladie de la jeunesse, au mois d’octobre, je me décidai à aller à Florence, sans savoir au juste si j’y passerais l’hiver, ou s’y je m’en retournerais à Turin. Mais je m’y étais à peine établi tant bien que mal, pour essayer d’y séjourner un mois, qu’une circonstance nouvelle m’y fixa, et pour ainsi dire m’y enferma pour bien des années.