Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/304

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Cette circonstance me détermina heureusement à renoncer pour toujours à ma patrie, et je trouvai enfin dans des chaînes d’or, qui tout-à-coup me retinrent doucement, cette liberté littéraire sans laquelle jamais je n’eusse fait rien de bon, si tant est que j’aie fait quelque chose de bon.

Pendant l’été précédent, que j’avais tout entier passé à Florence, comme je l’ai dit, j’y avais souvent rencontré, sans la chercher, une belle et très-aimable dame. Étrangère de haute distinction, il n’était guère possible de ne la point voir, et de ne pas la remarquer, plus impossible encore, une fois vue et remarquée, de ne pas lui trouver un charme infini. La plupart des seigneurs du pays et tous les étrangers qui avaient quelque naissance étaient reçus chez elle ; mais plongé dans mes études et ma mélancolie, sauvage et fantasque de ma nature, et d’autant plus attentif à éviter toujours entre les femmes celles qui me paraissaient les plus aimables et les plus belles, je ne voulus pas, à mon premier voyage, me laisser présenter dans sa maison. Néanmoins il m’était arrivé très-souvent del la rencontrer dans les théâtres et à la promenade. Il m’en était resté dans les yeux et en même temps dans le cœur une première impression très-agréable ; des yeux très-noirs et pleins d’une douce flamme, joints (chose rare) à une peau très-blanche et à des cheveux blonds, donnaient à sa beauté un éclat dont il était difficile de ne pas demeurer frappé, et auquel on échappait malaisément. Elle avait vingt-cinq ans ; un goût très-vif pour les lettres et les