Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/309

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et d’abandonner pour toujours, à quelque prix que ce fût, le nid malencontreux où j’étais né.

J’avais plus d’une manière d’arriver à mon but. Je pouvais, en la faisant renouveler, prolonger d’année en année la permission que j’avais obtenue de vivre à l’étranger. C’était peut-être le parti le plus sage ; mais c’était rester dans le doute. Y avait-il moyen de conserver une entière sécurité, tant que je restais soumis à une volonté étrangère ? Je pouvais encore user de subterfuges, de détours et de lenteurs, feindre des dettes, vendre en secret mes biens, et les réaliser ainsi ou de toute autre façon, pour les extraire de la noble prison qui me les retenait. Mais c’étaient là des moyens lâches, peu sûrs, et ils ne me plaisaient nullement au fond, peut-être parce qu’ils n’avaient rien d’extrême. Accoutumé du reste par caractère à toujours mettre les choses au pire, je voulais absolument en finir une bonne fois avec cette affaire, à laquelle de toute manière il eût bien fallu revenir un jour ou l’autre, si je ne voulais renoncer à l’art et à la gloire d’écrivain véridique et indépendant. Ainsi déterminé à éclaircir la chose, et à voir si je pourrais sauver une partie de mon bien, pour m’échapper ensuite et imprimer hors de mon pays, je me préparai énergiquement à tenter l’aventure ; et je fis sagement, quoique jeune encore et passionné de tant de façons. Et certes, avec les habitudes despotiques du gouverneur sous lequel j’avais eu le malheur de naître, si je m’étais laissé gagner par le temps, si j’avais commencé par imprimer à l’étranger même les