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Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/316

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vice, et un cuisinier, à qui je donnai aussi son congé peu de temps après. Et depuis lors, quoique déjà très-modéré dans ma nourriture, je contractai l’excellente et salutaire habitude d’une sobriété peu commune, je renonçai entièrement au vin, au café, et autres excitans du même genre, et me restreignis aux alimens les plus simples, le riz, les viandes bouillies ou rôties, et toujours les mêmes pendant des années entières. De mes chevaux j’en avais renvoyé quatre à Turin, avec ordre de les vendre avec ceux que j’y avais laissés en partant ; les quatre autres, j’en fis présent à autant de seigneurs florentins qui n’étaient pour moi que de simples connaissances, mais qui, moins fiers que je ne l’aurais été, les acceptèrent. Mes habits, je les abandonnai tous à mon valet de chambre, et l’uniforme cette fois y passa comme le reste. Je pris l’habit noir pour la soirée, et pour le jour un drap bleu, deux couleurs que je n’ai plus quittées et que je porterai jusqu’au tombeau. C’est ainsi que chaque jour me retranchant quelque chose, je me réduisis assez mesquinement au plus strict nécessaire, et il arriva qu’en donnant tout mon bien, je devins un avare.

Ainsi préparé à tout ce qui pourrait m’arriver de pire, et persuadé que je n’avais au monde que ces six mille sequins, je me hâtai de les jeter en France dans un de ces abîmes de rentes viagères ; et ma nature me portant toujours aux extrêmes, mon économie et mon indépendance allèrent peu à peu si loin que, chaque jour, imaginant pour me l’imposer quelque nouvelle privation, je tombai