Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/317

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dans une avarice presque sordide, et si je dis presque, c’est parce que tous les jours encore je changeais de chemise, et ne négligeai jamais le soin de ma personne ; mais si mon estomac écrivait, lui aussi, l’histoire de ma vie, il ferait bon marché du presque et dirait que mon avarice était en effet très-sordide. Ce fut le second, ce fut, je crois, le dernier accès de cette ignoble et honteuse maladie, trop bien faite pour dégrader l’âme et rapetisser l’intelligence. Mais quoique chaque jour je m’ingéniasse à trouver le moyen de me retrancher ou de me refuser quelque chose, je ne laissais pas de dépenser beaucoup en livres. Je rassemblai alors presque tous les ouvrages de notre langue, et bon nombre des plus belles éditions des classiques latins, et les prenant tous l’un après l’autre, je les lus et les relus, mais trop vite, mais avec une avidité trop grande, et je n’en tirai pas le fruit que j’en aurais recueilli, si je les avais lus à tête reposée, et en me pénétrant des commentaires. C’est une habitude à laquelle je n’ai pu me plier que fort tard, et depuis mon jeune âge j’ai toujours mieux aimé deviner les passages difficiles, ou les sauter à pieds joints, que de les aplanir par la lecture et l’étude des commentateurs.

Dans le cours de cette année matérielle et fiscale de 1778, si je ne négligeai pas entièrement mes compositions, elles se ressentirent du moins de toutes les distractions anti-littéraires au milieu desquelles m’avait jeté la nécessité. Sur le point à mes yeux le plus important, je veux dire l’étude approfondie de la langue toscane, il m’était survenu un nou-