Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/321

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Lettres, et les distribuai en chapitres dont j’ébauchai même les trois premiers. Mais ne me sentant pas encore assez de verve pour bien rendre mes pensées, j’ajournai ce travail pour n’avoir pas à le refondre plus tard tout entier lorsque j’y reviendrais pour le corriger. Au mois d’août de cette même année, à l’instigation de mon amie et pour lui plaire, j’esquissai la Marie Stuart. Au mois de septembre, je m’appliquai à mettre l’Oreste en vers, et c’est par où je terminai cette année si laborieuse et si pleine.

1779. Mes jours s’écoulaient alors dans un calme pour ainsi dire parfait ; rien n’y aurait manqué, si je n’avais eu trop souvent la douleur de voir mon amie en proie aux déplaisirs domestiques que ne cessait de lui susciter un vieux mari, chagrin, déraisonnable et toujours ivre. Ses peines étaient les miennes, et me faisaient éprouver tour à tour toutes les agonies de la mort. Je ne pouvais la voir que le soir, et quelquefois en dînant chez elle ; mais le mari était toujours présent, ou s’il n’était là, il se tenait la plupart du temps dans une chambre voisine. Ce n’est pas que je lui donnasse plus d’ombrage qu’un autre, mais tel était son système ; et pendant plus de neuf ans que vécurent ensemble ces deux époux, jamais il ne lui est arrivé à lui de sortir sans elle, jamais à elle de sortir sans lui. C’eût été assez à la longue pour ennuyer même deux jeunes amans du même âge ; aussi tout le jour je m’enfermais chez moi pour étudier, après avoir chevauché pendant une couple d’heures de la ma-