Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/324

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prendre une physionomie qui fût la sienne, et à se tenir debout sur ses pieds par la seule force de sa structure. C’est un genre de composition où il n’est permis, ni de venir au secours du vers, ni de l’enfler d’une foule de périodes, d’images, de transpositions, de mots pompeux ou bizarres et d’épithètes recherchées. Le simple arrangement des mots relevé de quelque grandeur y répand l’essence du vrai, sans lui ôter la vraisemblance et le naturel du dialogue. Mais tout cela, que peut être j’exprime ici fort mal, dès lors et chaque jour plus vivement empreint dans mon esprit, ne se rencontra sous ma plume que bien des années après, si jamais je l’y rencontrai, et ce ne fut, je crois, qu’à l’époque où je fis à Paris une édition de mes tragédies. Si à force de lire, d’étudier, de sentir, de discerner, d’analyser les beautés et les tours de Dante et de Pétrarque, j’ai fini par apprendre à rimer passablement et avec quelque goût, l’art du vers blanc tragique (que je l’aie en effet possédé ou que je me sois borné à le définir), je ne le dois qu’à Virgile, à Cesarotti et à moi-même. Toutefois avant de pouvoir me rendre raison à moi-même de l’essence du style que je voulais créer, j’ai bien long-temps erré, j’ai long-temps tâtonné, et souvent il m’est arrivé de tomber dans l’obscur et l’étrange, pour vouloir trop bien éviter le lâche et le trivial. J’en ai parlé ailleurs assez longuement, quand j’ai essayé de faire comprendre ma manière d’écrire.

1780. L’année suivante, 1780, je mis en vers la Marie