Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/334

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tenu de moi coup sur coup cette triple création, contre l’habitude que j’avais prise pour toutes les autres, de mettre de longs intervalles entre ces divers remaniemens. Même chose arriva à l’égard du Saül. Depuis le mois de mars je me livrais volontiers à la lecture de la Bible, mais sans suivre un ordre régulier. Néanmoins cette lecture suffit pour m’enflammer de toute la poésie de ce livre, et ne me laissa pas en repos que je n’eusse épanché dans une œuvre biblique l’enthousiasme dont j’étais plein. Je conçus donc, je développai, et bientôt après je versifiai aussi le Saül, qui fut la quatorzième, et, dans ma pensée d’alors, devait être la dernière de toutes mes tragédies. Telle était chez moi cette année la fougue de la faculté créatrice, que si je n’avais pris cette résolution pour y mettre un frein, déjà deux autres tragédies bibliques allaient tenter mon imagination, et assurément l’auraient entraînée ; mais je demeurai ferme dans ma résolution, et trouvant que déjà peut-être c’était trop de quatorze, je ne fis point ces deux dernières, et même, toujours ennemi du trop, quoique ma nature s’emportât volontiers aux extrêmes, en développant la Mérope et le Saül, j’éprouvais un tel regret à dépasser le nombre que j’avais fixé, que je me promis de ne les mettre en vers qu’après avoir entièrement achevé et parachevé toutes les autres ; et dans le cas où je ne recevrais pas de chacune d’elles en son ensemble, l’impression que j’en avais reçue en la développant, ou même une plus vive, je me promis encore de ne pas les continuer. Mais