Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas au bateau d’aborder avant la matinée suivante ! Si on ne les débarquait, le soir, de cette manière, ne fallait-il pas les laisser embarqués toute la nuit dans une position si incommode ? ce fut, en un mot, mille morts à subir. Mais je déployai tant de sollicitude et de prévoyance, d’activité à remédier au mal, et d’obstination à m’en occuper toujours par moi-même, qu’à travers toutes les vicissitudes, tous les dangers, tous les embarras, je les sauvai tous, et les amenai tous à bon port, et sans accidens graves.

Je dois confesser, pour être sincère, qu’outre ma passion pour mes chevaux, j’y mettais aussi une vanité non moins sotte qu’extravagante ; et lorsqu’à Paris, à Amiens, à Lyon, à Turin, ou ailleurs, mes chevaux obtenaient le suffrage des connaisseurs, je levais la tête et me rengorgeais, absolument comme si je les avait faits. Mais l’épisode le plus hardi et le plus épique de mon expédition, ce fut de passer les Alpes avec toute ma caravane , entre Lanslebourg et la Novalaise. J’eus beaucoup de peine à bien ordonner leur marche et à surveiller l’exécution de mes ordres pour qu’il n’arrivât aucun malheur, à des bêtes si énormes et si lourdes, sur la pente étroite et difficile de ces routes sillonnées de précipices. J’éprouvai tant de plaisir à régler cette marche, que le lecteur me permettra bien sans doute d’en trouver encore un peu à les lui décrire. Ceux qui ne le voudraient pas n’ont qu’à tourner la page. Pour ceux qui liront, ils jugeront si je m’y entendais mieux à ordonner