Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/365

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geais de plus en plus la lecture de mes poètes favoris, et ma veine poétique allait toujours s’appauvrissant. Pendant tout le temps de mon séjour à Londres, je ne fis qu’un sonnet, et deux au moment de partir. Je me remis en route, au mois d’avril, avec cette nombreuse caravane, et j’arrivai à Calais, puis à Paris encore ; puis, en passant par Lyon et par Turin, je retournai à Sienne. Mais il est beaucoup plus court et plus facile de le raconter ici la plume à la main, qu’il ne le fut de l’exécuter avec tant d’animaux. J’éprouvais chaque jour, à chaque pas, des embarras et des mécomptes qui empoisonnaient trop amèrement le plaisir que j’aurais pu trouver à ma chevalerie. C’était celui-ci qui toussait, celui-là qui refusait de manger ; l’un boitait, l’autre avait les jambes enflées, cet autre perdait ses fers. C’était un océan de malheurs continuels dont j’étais le premier martyr. Et quand il fallut passer la mer pour les transporter de Douvres, me les voir, comme un vil troupeau, jeter au fond du bâtiment pour lui servir de lest, salis à ne plus même distinguer le bel or châtain de leur charmante robe ; et à Calais, avant de débarquer, lorsqu’on enleva les quelques planches qui leur formaient une espèce de toit, voir leur dos tenir lieu de banc à de grossiers matelots qui cheminaient sur eux comme si ce n’eût pas été des corps vivans, mais la simple continuation du plancher, les voir enfin tirés en l’air avec un câble, les quatre jambes pendantes, pour être ensuite descendus dans la mer, la marée ne permettant