Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/370

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voir beaucoup de ces compagnons de mon adolescence, qui, du plus loin qu’ils m’apercevaient dans une rue, évitaient ma rencontre, ou qui, pris au dépourvu, m’adressaient à peine un salut glacial, si même ils ne détournaient la tête, des gens à qui je n’avais jamais rien fait que témoigner une amitié cordiale, voilà qui me perçait le cœur, mais qui m’eût fait plus de mal encore, si le petit nombre de ceux qui m’avaient conservé de la bienveillance ne m’avaient appris que les uns me traitaient ainsi parce que j’avais écrit des tragédies ; les autres parce que j’avais beaucoup voyagé ; d’autres parce que j’avais reparu dans le pays avec trop de chevaux : des petitesses en somme, petitesses excusables cependant, très-excusables même quand on connaît les hommes, et que l’on s’examine soi-même avec impartialité ; mais dont il faut se défendre autant que possible, en quittant ses concitoyens lorsqu’on ne veut pas faire ce qu’ils font ou ne font pas, lorsque le pays est petit et les habitans désœuvrés ; lorsqu’enfin on a pu les offenser involontairement, par cela seul qu’on a essayé de faire plus qu’eux, en quelque genre que ce soit, et de quelque façon qu’où l’ait essayé.

Un autre morceau très-amer qu’il me fallait pourtant avaler à Turin, ce fut l’inévitable nécessité de paraître devant le roi, qui devait se tenir pour offensé de voir que je l’eusse renié hautement en m’expatriant pour toujours. Toutefois, vu les usages du pays et la position même où je me trouvais, je ne pouvais me dispenser d’aller le saluer et lui