Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/383

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le cœur embrasé et tout ensemble innocent de la pauvre Myrrha, bien plus infortunée que coupable, sans qu’elle en dît la moitié, n’osant s’avouer à elle-même, loin de la confier à personne, une passion si criminelle. En un mot, dans ma tragédie, telle que je la conçus tout d’abord, Myrrha ferait les mêmes choses qu’elle décrit dans Ovide ; mais elle les ferait sans les dire. Je sentis dès le début quelle immense difficulté j’éprouverais à prolonger pendant cinq actes, sans le secours d’aucun épisode, ces fluctuations de l’âme de Myrrha, si délicates à rendre. Cette difficulté, qui ne fit alors que m’enflammer de plus en plus, et qui, lorsque ensuite je voulus développer, versifier et imprimer ma tragédie, a toujours été l’aiguillon qui m’excitait à vaincre l’obstacle, l’œuvre achevée, je la crains, cette difficulté, et la reconnais dans toute son étendue , laissant aux autres à juger si j’ai su la surmonter complètement ou en partie, ou si elle demeure tout entière.

Ces trois nouvelles productions tragiques allumèrent dans mon cœur l’amour de la gloire que je ne désirais plus désormais que pour la partager avec celle qui m’était plus chère que la gloire. Il y avait donc un mois environ que mes jours s’écoulaient heureux et pleins, sans qu’il s’y mêlât d’autre pensée amère que celle-ci, déjà si horrible : Un mois encore, un mois au plus, et il faudra nous séparer de nouveau. Mais, comme si la crainte de ce coup inévitable n’eût pas suffi à elle seule pour répandre une affreuse amertume sur les fugi-