Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/384

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tives douceurs qu’il me restait à savourer, la fortune ennemie voulut y joindre sa dose cruelle pour me rendre plus chère encore cette éphémère consolation. Des lettres de Sienne m’annoncèrent dans l’espace de huit jours, et la mort du jeune frère de Gori, et une maladie grave de Gori lui-même. Celles qui suivirent m’apportèrent la nouvelle de sa mort, après une maladie qui n’avait duré que huit jours. Si je ne me fusse pas trouvé auprès de mon amie en recevant ce coup si rapide et si inattendu, les effets de ma juste douleur auraient été bien plus terribles ; mais quand on a quelqu’un pour pleurer avec soi, les pleurs sont moins amers. Mon amie connaissait aussi, et elle aimait tendrement ce cher François Gori. L’année d’avant, après m’avoir, comme je l’ai dit, accompagné jusqu’à Gènes, de retour de Toscane, il s’était rendu à Rome presque uniquement pour faire connaissance avec elle, et pendant son séjour, qui dura plusieurs mois, il l’avait vue constamment, et l’avait accompagnée dans ses visites de chaque jour à tous les monumens des beaux-arts, qu’il aimait lui-même passionnément, et qu’il jugeait en appréciateur éclairé. Aussi, en le pleurant avec moi, ne le pleurait-elle pas seulement pour moi, mais encore pour elle-même, sachant bien ce qu’il valait par l’expérience qu’elle venait d’en faire. Ce malheur troubla plus que je ne saurais le dire le reste du temps déjà si court que nous passâmes ensemble ; et à mesure que le terme approchait, cette nouvelle séparation me parais-