Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/389

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libre et plus indépendant que moi-même, mon esprit ne veut, à aucun prix, m’obéir, et que si, par exemple, je me fusse proposé d’abord de lire Pline, puis de faire un panégyrique à Trajan, il n’eût jamais eu la force de rassembler deux idées, pour tromper à la fois et mon esprit et ma douleur, je trouvai le moyen de me faire violence, en m’imposant une œuvre de patience, de bête de somme, comme on dit. C’est pourquoi je retournai à Salluste, dont j’avais fait à Turin, il y avait dix ans, une traduction qui n’était alors qu’une étude ; je fis recopier cette traduction avec le texte en regard, et je m’appliquai sérieusement à la corriger dans l’intention et l’espoir d’en tirer quelque chose. Mais même pour un travail aussi pacifique, je me sentais incapable d’une application calme et suivie. L’ouvrage y gagna donc peu de chose ; je crus voir, au contraire, que dans le délire et l’effervescence d’une âme mécontente et préoccupée, peut-être est-il encore moins difficile de concevoir et de créer une œuvre courte et animée que de revenir froidement sur une œuvre déjà faite. La correction ennuie, et, chemin faisant, on pense à autre chose. La création est une fièvre, durant l’accès, c’est elle seule que l’on sent. Je remis donc le Salluste à des temps plus heureux, et me repris à cet ouvrage du Prince et des Lettres, dont j’avais eu l’idée et dessiné le plan à Florence, quelques années auparavant. J’en écrivis alors tout le premier livre et quelques chapitres du second. Dès l’été précédent, à mon retour d’Angleterre à Sienne,