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Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/404

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L’affaire de ce mariage une fois traitée, nos cœurs s’épanchèrent l’un dans l’autre, et nous revînmes, mon ami et moi, à ces lettres que nous aimions tant. J’éprouvais pour ma part un besoin véritable de converser sur l’art, de parler italien et de choses italiennes. C’était une satisfaction qui me manquait depuis deux ans, ce qui me faisait grand tort, surtout pour l’art des vers. Certes, si les nouveaux grands hommes de la France, Voltaire et Rousseau, par exemple, avaient dû passer la meilleure partie de leur vie à errer dans divers pays, où leur langue eût été inconnue ou négligée, et qu’ils n’eussent même trouvé personne avec qui la parler,

    de vous proposer un mariage avantageux. Il s’agit d’une demoiselle fort distinguée du côté de son père et de celui de sa mère, et qui hérite en grande partie de la fortune paternelle. Le père qui a été fort ami du vôtre désirerait vous donner sa fille unique, de préférence à tout autre, par le désir qu’il a de faire revivre dans cette ville le nom d’Alfieri. J’ai choisi votre ami pour vous faire cette proposition, dans l’espérance qu’il aurait peut-être le talent de vous persuader, et aussi parce qu’avec lui vous serez plus libre d’expliquer vos sentimens sans en être empêché par la crainte de m’affliger. Dieu sait combien je vous aime, et si pour ma consolation et mon repos en ce monde, je pourrais rien imaginer qui me fût plus doux que de vous voir revenir dans ce pays et vous établir dans la ville où vous êtes né ; mais je ne voudrais pas contribuer à vous faire prendre une si grave résolution, si elle n’était d’ailleurs ni dans vos goûts, ni dans vos convenances, n’étant plus moi-même pour long-temps dans ce monde. C’est pourquoi il ne faut pas vous occuper de moi