Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/424

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m’eût fallu de temps, de jeunesse et de verve pour une telle création, sans jamais plus le retrouver. Aussi, pendant cette dernière année que je demeurai alors à Paris, comme pendant les deux années que j’allai ensuite passer ailleurs, je n’écrivis de mon propre fonds que quelques épigrammes et quelques sonnets, pour exhaler ma trop juste colère contre les esclaves devenus maîtres, et nourrir ma mélancolie. J’essayai encore toutefois de composer un Comte Ugolin, drame mixte, que je voulais joindre à mes tramélogédies, si jamais je les achevais. Mais après l’avoir conçu, je le laissai là, sans songer même à le développer. Cependant j’avais terminé l’Abel, mais sans l’achever. Au mois d’octobre de cette même année 1790, je fis avec mon amie un petit voyage de quinze jours en Normandie, par Caen, le Havre, et Rouen, admirable et riche province que je ne connaissais pas. J’en revins très-satisfait, et mon cœur en fut même un peu soulagé. Ces trois années, uniquement vouées à la peine et à l’impression de mes ouvrages, m’avaient vraiment desséché le corps et l’intelligence. Au mois d’avril, voyant qu’en France les choses ne faisaient chaque jour que s’embrouiller davantage, je voulus essayer encore si l’on ne pouvait trouver ailleurs un peu de repos et de sécurité ; de son côté, mon amie désirait voir l’Angleterre, la seule terre qui fut un peu libre et qui ne ressemblât point à toutes les autres ; nous nous décidâmes à y aller.